Lectures interview
MICHELE SARDE : LE BEL AGE ?
Propos recueillis par Elisabeth Barillé, Atmosphères, mai 2003
Au XIXe siècle, Balzac fixait à trente ans le seuil du renoncement,
le temps venu pour la femme de dire adieu aux apparences et à la séduction
pour entrer en sagesse. Et aujourd'hui ? Biographe de Colette, Michèle
Sarde aborde la question tans son dernier roman, Constance et la cinquantaine.
NOTE
En scène, cinq amies de longue date, les Félines. Militantes
des années féministes, elles ont traversé les décennies
en conquérantes, en tentant de concilier les aventures professionnelles
et les tempêtes du cœur. Julia est devenue avocate, Caroline journaliste,
Constance enseigne la littérature aux Etats-Unis, Soledad, la plus engagée,
vit au Chili tandis qu'Alice est restée femme au foyer, aux côtés
d'un mari coureur de jupons. Toutes abordent les rivages d'une terre
redoutée, la cinquantaine. Quels tourments les attendent ? Trop vieilles
pour estimer que tout reste à faire, mais trop jeunes pourtant pour renoncer
à y croire, n'ont-elles pas encore de formidables réserves
d'énergie ? La disparition du mari de Soledad, va les mobiliser...
Sous les regards de trois hommes de leur âge, complices quoique bien hommes
parfois, les Félines vont sortir leurs griffes. Un roman supervitaminé
à consommer d'urgence !
Atmosphères. La cinquantaine, cauchemar comme le dit
un des personnages, ou invitation à vivre plus pleinement ?
Michèle Sarde. Invitation à vivre, sans nul doute.
Mais sans avaler certaines couleuvres qui consistent à nous marteler
que rien n'a changé avec l'âge, ce qui est faux. Ça
change mais pas forcément en mal. Par exemple, sur la séduction,
il ne s'agit plus d'entrer en compétition avec nos filles,
mais de pouvoir circuler librement dans la rue, dans une sorte d'invisibilité
protectrice. Libérée de la tyrannie des hormones, de ce que dans
ma jeunesse, j'appelais, « le désir fou » et qu'on
revêt du beau mot de passion amoureuse, on est davantage libre de choisir
raisonnablement ceux ou celles avec lesquels vivre en harmonie, sans orages,
sans névroses. Et puis, c'est peut-être une banalité,
mais l'expérience donne une profondeur aux choix que l'on
fait.
A. Y a-t-il pour vous un « plus bel âge de la
vie et quel est-il ?
M. S. Tout dépend des individus et des histoires personnelles,
mais pour moi l'âge le plus enviable, chez une femme d'aujourd'hui,
c'est quarante ans. C'est l'âge de toutes les libertés,
celui où l'on n'est plus coincée entre les contraintes
de l'horloge biologique et de la réussite professionnelle, ou l'on
est en pleine possession de ses moyens. Mais sans doute a-t-on tendance à
privilégier l'âge que l'on vient de quitter. «
Mes beaux cinquante ans! » soupirait Colette lorsqu'elle ne les
avait plus depuis longtemps...
A. Colette, votre modèle...
M. S. La lecture de son œuvre devrait être recommandée
aux femmes comme un remède aux chagrins associés à l'état
de femme ! Elle en a parlé magnifiquement.
A. Qu'est-ce qui vous touche en particulier ?
M. S. Son amour de la vie et des êtres sous toutes ses
formes, son goût du bonheur.
A. Son plus beau livre ?
M.S. Pour une jeune femme, La Vagabonde, pour une
femme de cinquante ans, La Naissance du jour.
A. Les Félines ont-elles vraiment existé ?
M. S. Oui et elles existent toujours !
A. Quel regard portez-vous sur le féminisme militant
des années 70 ?
M. S. Un regard bienveillant et critique. C'était
un mouvement plein d'énergie, de courage, d'imagination,
mais beaucoup de militantes ont payé très cher leur engagement
dans leur vie personnelle, se retrouvant souvent seules et désavouées,
notamment par les jeunes femmes pas toujours conscientes de ce qu'elles
leur doivent...
A. Il y a vingt ans, vous publiiez un livre sur les Françaises
aux XIXe et XXe siècles. Qu'est-ce qui, pour vous, a le plus changé
en vingt ans ?
M. S. Des rêves sont devenus des réalités,
comme les lois sur l'IVG, le divorce, le viol, etc. Dans le même
temps, d'autres problèmes ont surgi. Je pense aux violences faites
aux femmes. Il y a vingt ans, on commençait à peine à parler
des femmes battues, toutes ces brutalités dont sont victimes les jeunes
filles des banlieues dites sensibles.
A. Quel nouveau chapitre ajouteriez-vous à ce livre
aujourd'hui ?
M. S. J'ai précisément le projet de faire
une suite, sur ce qui a changé et ce qui est resté, notamment
la volonté, très affichée chez les jeunes mouvements de
femmes, de ne pas se séparer des hommes dans leur combat. C'est
d'ailleurs pourquoi, dans mon roman, le noyau d'amitié est
mixte.
A. Au sujet des hommes, vous montrez bien qu'ils éprouvent,
comme les femmes, la peur de vieillir. On a tendance à l'ignorer...
M. S. La peur du déclin, oui, de la virilité.
Mais ils bénéficient d'un mélange d'avantages
biologiques et sociologiques. D'une part, ils peuvent engendrer des enfants
jusqu'au terme de leur existence, d'autre part, on ne leur demande
pas de paraître toujours jeunes pour réussir.
A. Caroline, la benjamine des Félines, a recours à
la chirurgie esthétique. C'est un thème fort du livre. Pourquoi ?
M. S. Parce qu'elle est contestée par beaucoup
de femmes, ridiculisée par beaucoup d'hommes qui, néanmoins,
y ont de plus en plus recours, mais pour qui la pratique reste encore plus secrète
que pour les femmes. Il s'agit pour moi d'un débat sérieux
qui mérite mieux que d'être traité avec légèreté
et seulement dans les magazines féminins.
A. Comment bien vieillir quand on a été une militante
féministe et qu'on s'est battue contre la dictature de la
beauté ?
M. S. Ce n'est pas parce qu'on s'est battue
contre cette dictature, qu'on s'est battue contre la beauté
elle-même. Bien vieillir, c'est démontrer que la beauté
n'est pas forcément synonyme de jeunesse, c'est-à-dire
d'attrait sexuel. La beauté intérieure, ça existe
aussi, et la bonté. Cela peu paraître peu « branché
», mais j'aime la bonté chez les êtres humains. On
vieillit bien en recherchant cette bonté en soi et en faisant la paix
avec soi-même.
A. L'amitié, un pilier de votre vie ?
M. S. Oui, depuis toujours. Elle occupait peut-être moins
de place quand j'étais accaparée par ma carrière,
mon enfant et ma vie privée. Maintenant j'ai plus de disponibilité
pour cultiver ce sentiment si délicat, et si réconfortant, sur
lequel j'ai d'ailleurs publié une anthologie.
NOTE
Je n'en exclus pas les hommes. J'ai toujours eu des amis avec lesquels on savait
que la barrière ne devait pas être franchie.
A. L'amitié comme recours absolu ?
M. S. Absolu, non. En tout cas, pas exclusif. Partager sa vie
avec un compagnon, ou une compagne, avec lequel on est amoureusement lié
reste très banalement une des sources de bonheur. De même, les
enfants quand on en a. Mais ces dispositions demeurent contingentes. L'amitié
reste donc une alternative qui vaut qu'on lui consacre du temps, de l'attention.
A. Si une bonne fée venait à passer, quel vœu
formuleriez-vous ?
M. S. Je vous vois venir ! Me laisserais-je aller, comme dans
le conte, à vouloir boire quelques gouttes de l'eau de jouvence
– pas trop! – afin de recommencer ma vie « sans fautes »?
Non, je lui demanderais de m'accorder le talent et la longévité
dont j'ai besoin pour écrire encore beaucoup d'histoires !