Yourcenar : écrivain
Michèle Sarde nous rapproche avec justesse d'un auteur qui avait
fâcheusement tendance à s'éloigner. Trois cents lettres illustrent
par ailleurs comment la vie peut être considérée comme un exercice
de style.
Qui a-t-elle aimé ? Yourcenar est sans doute là, dans la liste de ces
hommes et femmes qui ont si peu traversé sa vie, puisque les années ne les
délogent pas de sa mémoire. Dans sa biographie, Michèle Sarde
s’arrête sur chacun d’eux : André Fraigneau que Yourcenar ne
réussit pas à détourner des hommes, le poète Andreas
Embirikos qui l’écoute et l’apaise, Lucy Kyriakos dont elle aime
la présence et Jerry Wilson, l’amour des dernières années.
Sans oublier Grace Frick, sa compagne pendant quarante ans sur l’île des
Monts-Déserts, aux États-Unis. Et si tout ressemble à Yourcenar
– sa correspondance, son oeuvre, ses obligations de vie – ses amours
surprennent. Ils sont marqués par le rejet, l’humiliation, l’abandon,
l’enfermement, le masochisme. Curieusement, ils n’éclairent pas la
femme. Au contraire. Ils soulignent la permanence d’un mystère, cette part
d’un être que l’on ne peut saisir. Michèle Sarde hasarde
une explication : la figure du père. La biographe en fait un homme libre,
doué, conscient du talent exceptionnel de sa fille. Qui, très tôt,
porte en elle ses thèmes futurs. Michel de Crayencour, homme à femmes,
íui lègue les préjugés de son milieu, son mépris de la
féminité et la conforte dans sa bisexualité. Deuxième figure
clé, Jeanne de Vietinghoff. Aimée par Michel de Crayencour, Yourcenar la
choisit pour remplacer sa mère, morte à sa naissance. Mariée
à un homosexuel, Jeanne rompt brutalement avec Michel de Crayencour.
Première esquisse du trio qui hante l’univers yourcenarien. Et trouve une
de ses expressions dans Le Coup de grâce. Comme inspirateurs ou
modèles, presque tous habitent son œuvre L’écrivain exorcise
son amour passionnel pour André Fraigneau dans Feux, témoigne de
l’influence bénéfique d’Andreas Embirikos dans Nouvelles
Orientales, s’inspire de Jeanne pour le personnage de l’épouse
dans Alexis ou le traité du vain combat. Elle, on la devine à
travers la Sophie, entière et fière, du Coup de grâce.
Tout fait roman. Tout fait vie. « Il y a peu d’êtres dont on ne
puisse apprendre quelque chose ; à tout mettre au pis, vous pouvez
apprendre d’eux à ne pas leur ressembler » écrit-elle
à André Desjardins, futur abbé, dans une lettre de janvier 63.
Dans un premier temps, on ne distingue pas ce qui relie la jeune fille des années
trente, libre, voyageuse, éprise d’amour, à la femme hiératique
qui s’installe à Petite Plaisance dès 39. En 90, Josyane Savigneau
nous révélait l’auteur des Mémoires d’Hadrien
dans une biographie à la fois humaine et documentée.
NOTE
Dans La Passion et ses masques, Michèle Sarde l’évoque avec ses
mots de femme. Elle s’adresse directement à l’écrivain. On pouvait
craindre cette forme stylistique. Elle nous rapproche avec justesse d’un auteur qui a
fâcheusement tendance à s’éloigner. Michèle Sarde découvre
ce qui est dans la jeune fille, ce qui est dans la femme : la passion, intacte, l’amour
de la vérité, inentamé et la fidélité aux autres, sans faille.
Disons-le d’emblée, par certains aspects, la correspondance de Yourcenar
déçoit. Malgré le travail de Michèle Sarde et de Joseph Brami, le lecteur
bute sur la froideur de l’écrivain comme sur un mur. Quand on se plonge dans une
correspondance, on espère voir, entendre, toucher. Vivre les éclats de joie, les
coups de colère, les désespoirs rageurs. Par un étrange retournement,
les incorrections de style, les faiblesses d’écriture, deviennent sources de bonheur.
Ici, rien. On se surprend à guetter les événements heureux ou malheureux : les
succès inattendus des Mémoires d’Hadrien et de L’ouvre au
noir, l’élection à l’Académie Française, le
décès de Grace Frick, l’appel des souvenirs pour la rédaction du
Labyrinthe du monde. Rien. Trois cents lettres, toute une vie. Et si peu de rires,
de souffrances, de blessures ou de tristesses exprimés. On est loin des lettres
déchirantes de Madame de Sévigné, de celles bouillonnantes de Flaubert, de
celles chaleureuses et coléreuses de Paulhan. Les émotions se glacent, les
sentiments se volatilisent. On le regrette. Est-ce dû à la présence de Grace
Frick qui recopie les lettres ? On retrouve Yourcenar. Dont c’est la grandeur de vouloir
tout vérifier, jusqu’aux plus infimes détails. Dont c’est le malheur de
vouloir tout travailler, jusqu’à ses sentiments. Elle qui écrit dans
Archives du Nord « quoi qu’on fasse et où qu’on aille,
des murs s’élèvent autour de nous et par nos soins, abris d’abord et
bientôt prisons ».
Ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. Chaque lettre est
représentative du style unique de Yourcenar, de sa pensée à la fois inflexible
et curieuse. Certaines sont de purs chefs-d’œuvre. Comme sa lettre de Noël 1962 sur
Leningrad – époustouflante d’intelligence –, celle de Mai 1960 qui narre la
recherche du lieu où est tombé Garcia Lorca – bouleversant hommage d’un
immense écrivain à un autre immense écrivain. Ou encore la lettre d’octobre
70, qui évoque l’homosexualité. En peu de mots, l’essentiel est dit.
Jamais l’écrivain ne se perd dans le verbiage. Toujours, en quelques lignes, son
intelligence frappe, son style cerne. Ainsi de Pascal, « Je suis surtout disposée
à voir en lui une âme et un tempérament tourmentés, écartelés
entre certaines contradictions », le contraire d’un homme « intégré
» dans son temps, explique-t-elle dans une réponse de janvier 68. On oublie alors ses
déceptions pour se laisser subjuguer par des lettres que l’on relit, aussitôt
terminées. L’épistolière se montre à la hauteur de son œuvre.
Même si l’incompréhension naît face à des préjugés communs
sur les femmes et, impardonnables, sur les juifs.
Malgré la diversité des correspondants, l’écriture demeure identique. Seule
l’humeur varie. Tendre avec sa correctrice Jeanne Carayon, convenue avec Montherlant, confiante
avec sa traductrice Lidia Storoni Mazzolani, sermonneuse avec Jean Chalon, amicale avec Yannick Guillou.
Parfois brutale avec son neveu, Georges de Crayencour. Elle lui reproche de manquer de lucidité
sur son père. Elle, si aveugle sur le sien. Bien sûr l’œuvre, passée,
présente, future est au centre. C’est l’un des aspects passionnants de cette
anthologie : les recherches, l’écriture, les doutes, la sortie du livre. Avec un public
fidèle, une critique sujette à plaintes. Les lettres, concernant l’adaptation
cinématographique du Coup de grâce par Volker Schlöndorff, sont une
jubilation. Insatisfaite, dans de longues et minutieuses missives, Yourcenar commente, raille,
conteste le film dans ses moindres détails.
« Que nous soyons heureux ou non n’a au fond pas d’importance »
écrit-elle à Gabriel Germain en juin 69. Au regard de son existence, c’est une
question que l’on ne se pose pas : trop simple. D’autres sont inévitables.
Est-elle passée à côté de la vie, des êtres, elle qui sait que
« tous ceux qui ont perdu quelqu’un sont, si peu que ce soit, engagés dans la
mort. Mais nous n’avons rien perdu. Ils sont là, ils nous attendent, là où
il n’y a plus d’attente » ? Pas un seul instant, en tout cas, Marguerite Yourcenar
n’est passée à côté de son œuvre. Et pour elle, là
était sans doute l’essentiel.
Marie-Laure Delorme, Le Magazine littéraire, juin 1995
MICHÈLE SARDE FACE À MARGUERITE YOURCENAR
Re-connaissance d’une femme d’énigmes et d’évidences
VOUS, MARGUERITE YOURCENAR
La Passion et ses masques
Michèle Sarde, Ed. Robert Laffont, 1995
Marguerite Yourcenar : cette longue existence qui avait connu le monde et la gloire, ce destin
observé par tant de regards et commenté par tant de voix, cette oeuvre qui devenait
peu à peu un édifice dans notre siècle, cette création qui fascine et
qui trouble, ces incessantes confidences qui rendent une vie de plus en plus complexe ; tout cela,
en effet, restait à voir ou à reprendre. [...]
Un livre absolument remarquable vient de paraître, apportant une contribution majeure à
cette reconnaissance d’une femme pleine à la fois d’énigmes et
d’évidences. Michèle Sarde nous donne, avec « Vous, Marguerite Yourcenar
», une œuvre qui a la richesse de son sujet et aussi la richesse intellectuelle et
sensible de son propre regard.
Professeur de littérature française à l’université de Georgetown,
à Washington, Michèle Sarde avait publié, en 1978, une étude remarquable
sur Colette. On y avait déjà observé à quel point elle pouvait être
tout ensemble proche et autonome en face d’un grand talent créateur. Et l’on sait
que, dans ce genre d’exercice, la passion subjective est aussi redoutable que la froideur objective.
La voici donc, cette fois, face à Marguerite Yourcenar. L’expression n’est pas abusive.
L’essayiste a choisi de faire comme si elle parlait à l’écrivain pour la faire
parler. Le titre le dit bien: « Vous, Marguerite Yourcenar ». Et cette option n’est pas
secondaire ou de pure forme, Elle exprime le contact, l’interrogation, l’intention
d’écouter l’essentiel. Sans familiarité, dans une proximité qui
s’exerce avec beaucoup de tact.
Cela dit, ce n’est pas un dialogue. C’est Michèle Sarde qui parle seule, comme
après avoir écouté, interrogé, médité les réponses
qui sont souvent dans les œuvres, celles-ci étant toujours abordées pour tout ce
qu’elles nous diront de l’auteur. Ainsi s’organise un jeu subtil où les
réflexions et les citations, les analyses et les déductions révèlent une
écoute et une étude admirables.
Colette, Michèle Sarde l’avait dite « libre et entravée ». En
avançant dans la vie et le parcours de Marguerite Yourcenar, on penserait d’abord que
c’est aussi un destin libre et entravé. Mais on s’aperçoit vite que les
entraves et les libertés sont très différentes. Plus circonstancielles chez
l’auteur de « Sido », plus fondamentales et difficiles à vivre chez
l’auteur d’« Hadrien ».
Tout ce nouveau livre devient ainsi une biographie surprenante. On savait, bien sûr, la fillette
sans mère, l’adolescente grandissant près de son père, la jeune femme dans
un monde d’abord multiple puis saccagé. On savait le départ pour
l’Amérique et la rencontre de Grace Frick qui a tant compté dans sa vie. Mais,
dès le début, Michèle Sarde relève la peur de l’absence :
De cette peur de l’absence, vous avez gardé le goût de vivre et de voyager
avec un compagnon ou une compagne dont on partage tous les instants.
L’essayiste insiste surtout sur les passions que la jeune Marguerite a connues, car les
premières œuvres, « Alexis » ou « Le Coup de
grâce », notamment, racontent des passions réelles. Une femme dont le mari
préfère les hommes, Marguerite l’a connue comme une amie: Jeanne de Vietinghoff.
L’affection qui les unissait rendait Marguerite sensible à cette frustration
pathétique. Elle ne pouvait deviner qu’un jour André Fraigneau, lecteur chez
Grasset, qui l’aiderait à prendre place dans l’édition, lui inspirerait aussi
une véritable passion qui rencontrerait le même obstacle.
Précisons bien que si le livre de Michèle Sarde inventorie et analyse profondément
la bisexualité de Marguerite Yourcenar, il ne tombe jamais dans les audaces faciles qui seraient
pour d’autres des occasions propices. Tout est étudié, précisé, comme
demandé à celle qui est le vous de ce dialogue. II en serait de même pour
la passion violente, qui a saisi l’auteur de « Quoi ? L’Éternité ».
Vers la fin de sa vie, Grace, compagne de quarante ans, est morte. Entre soudain dans sa solitude un
jeune homme de trente ans, Jerry Wilson.
Ici, c’est la malédiction Fraigneau qui recommence, avec en outre l’écart des
âges. La passion de Marguerite, contre toute logique ou toute mesure, est totale. Hélas !
Jerry n’aime pas les femmes. Leur existence partagée dans les orages ou les douleurs prend
donc ici une vérité saisissante.
Mais « Vous, Marguerite Yourcenar » n’est pas qu’un récit d’amours
impossibles ou particulières. À mesure qu’elle interroge et qu’elle écoute,
Michèle Sarde parle de l’oeuvre, des écrivains lus ou rencontrés: Gide ou
Giraudoux, Edmond Jaloux ou Cocteau, Jouhandeau ou Montherlant.
Et surtout, il y a dans cet étrange itinéraire une volonté de tout dire en
récusant fermement les complaisances et les complicités. Du grand et beau travail.
Georges Sion, de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de
Belgique, Le Soir, Bruxelles, 26 avril 1995
Vie et correspondance de la grande Marguerite
VOUS, MARGUERITE YOURCENAR
La Passion et ses masques
Michèle Sarde, Ed. Robert Laffont, 1995
Marguerite Yourcenar n’avait pas franchement tort lorsqu’elle écrivait qu’elle
serait après sa mort « la proie des biographes ». Elle faisait même preuve
d’une lucidité visionnaire. Dès 1990 en effet, la biographie minutieuse de
Josyane Savigneau passait au crible la vie intime de l’académicienne morte trois ans plus
tôt. Et tandis que l’on pouvait suivre, en février dernier sur France 3, le Marguerite
Yourcenar télévisuel de cette même biographe, voici que la romancière et
essayiste Michèle Sarde explore à son tour une existence décidément
vouée à l’exégèse. Était-ce bien nécessaire ?
s’interrogeront tous ceux qui n’auront pas encore lu ce beau texte inspiré.
La réponse est oui. Car les travaux de ces « yourcenariennes » passionnées ne
rivalisent nullement. La biographie de Josyane Savigneau était une enquête nécessaire,
aussi talentueuse qu’exhaustive. Celle de Michèle Sarde, auteur d’un Colette
libre et entravée de la même veine, est un portrait délibérément
subjectif dont le but avoué est – comme l’indique son titre – de nouer un
dialogue imaginaire avec l’écrivain. Arbitraire jusque dans sa décision de se
limiter aux années de formation, Michèle Sarde prévient toute critique et
affirme: « Tout ce que vous êtes devenue était en germe avant 1939 et votre
départ d’Europe. » Bref, son parti pris est celui d’une romancière qui
n’hésite pas à « inventer » ce que son intuition lui suggère, comme
cette liaison amoureuse avec le poète gréco-russe Andreas Embirikos, plus que probable
sans qu’aucune preuve tangible ne puisse l’attester !
Le hasard éditorial faisant bien les choses, les puristes, choqués par tant de liberté,
n’auront qu’à se rabattre sur le premier volume d’une correspondance enfin
éditée et établie par... Michèle Sarde. Ces Lettres à ses amis et
quelques autres ne manqueront pas de ravir les lecteurs des Mémoires d’Hadrien
ou de L’œuvre au noir, tous ceux qui s’intéressent à l’auteur
plus qu’à son existence. Car les œuvres épistolaires de Marguerite de Crayencour
témoignent magnifiquement de ce choix délibérément assumé: être un
écrivain plutôt qu’une femme.
Carole Vantroys, Lire, mars 1995
La mirada indiscreta
Una biografía sin obsecuencias sobre la autora de Alexis
MARGUERITE YOURCENAR
La pasión y sus máscaras
Michèle Sarde, Perfil Libros, 1998
Sorprendentemente removedora, esta extensa biografía de Marguerite Yourcenar nos confronta, en
primer lugar, con las inevitables exigencias mediáticas a las que deben someterse los grandes
escritores de nuestros días: publicidad que estalla a su alrededor con su evidente complicidad
o sin ella. En este caso en particular, lo que perturba inmediatamente al lector es la
reconstrucción casi policial de la vida de una escritora en cierto modo tan secreta, tan aferrada
a su singularidad, tan orgullosa y arisca, a su manera, como Marguerite Yourcenar. Y en su caso, perturba
particularmente este casi exhibicionismo de su vida, porque Yourcenar pertenece a la estirpe de aquellos
escritores capaces de legarnos todavía un sentido de intimidad e interioridad que precisamente
esta exhibición parece contradecir y amenazar. La transparencia que sugieren los perfiles de ese
diamante extraordinario que es la prosa de Yourcenar poco tiene que ver, en principio, con la
pormenorización de detalles de su vida familiar o privada, detalles extraídos, en parte, de
los recuerdos consignados por la escritora en Los Archivos del Norte o en Qué, la
eternidad.
Pero hay en Yourcenar una infalible nobleza, una elegancia innata para narrar lo sórdido sin
contaminarnos o sin contaminarse ella misma, una capacidad asombrosa de convocar lo brutal sin asomarse
jamás a la vulgaridad. Y estas propiedades parecen haberse contagiado a su historiadora, que tiene
el raro mérito de no ceder jamás a la obsecuencia y disentir en ocasiones con su personaje o
cuestionar, respetuosamente algunas de sus actitudes vitales.
En esta biografía Yourcenar se nos presenta apasionada e insólita, como cuando parte, a los
ochenta años, con un amante de treinta, a recorrer el mundo en aviones y hoteles de lujo.
Equivocada, explotada o tal vez explotadora, se la percibe siempre audaz, arriesgada, jugada a una
aventura que es algo más que literatura. En este sentido, es reveladora su reflexión
acerca del terreno extraordinariamente propicio para su obra que fue la apartada región de los
Estados Unidos, en la que se confinó largos años con Grace Frick. Según su propia
estimación, si hubiera permanecido en Paris, atrapada en la lucha incesante de las enrarecidas
facciones literarias, se habría asfixiado ese genio suyo poético y arqueológico,
capaz de revivir la tragedia de Antinoo y Adriano en una de las elegías más luminosas de
este siglo. Pero Yourcenar debió pagar por muchos años el precio de vivir en un idioma que no
compartía ni vivía profundamente, en una soledad acompañada por diálogos con
jardineros o recolectores de basura, ritmada por la cotidiana labor del pan amasado por sus propias manos,
tareas en las que ella encontró una alegría vivificadora que acaso pocas de las grandes
figuras literarias en nuestros días podrían compartir. Ésta es, ciertamente, una de
las señales de verdadera grandeza de su vida, mucho más tempestuosa de lo que cabría
imaginarse.
Hay una misteriosísima alquimia en Yourcenar, que transforma en materiales maravillosos no solo los
viajes incesantes con un padre cuyas amantes son dibujadas con ternura y generosidad a veces y otras, con
despiadada sinceridad, sino también las batallas sórdidas con editores omnipotentes y
mezquinos, y las relaciones cambiantes con amantes de ambos sexos, vividas con placer, lealtad y
desgarramiento extenuantes. En este sentido; los pasajes más reveladores de este libro son acaso
aquellos en los que Michèle Sarde examina en profundidad las reflexiones de Yourcenar sobre la
relación entre vida y obra y agrega sus propias, nada triviales conclusiones.
Si en aquel libro memorable que fue Con los ojos abiertos, el extenso reportaje de
Mathieu Galay, pudimos reconstruir la mente y la inspiraci6n de Yourcenar en el apogeo de su lucidez,
esta biografía presenta ejemplarmente, en su sorprendente trasluz, esa cámara oscura de
energía vital, contradictoria y tumultuosa, de la que brota la luz incomparablemente serena,
tejida de madurez, misericordia y experiencia, de uno de los últimos faros de nuestro siglo.
Ivonne Bordelois, La Nación, Buenos Aires, 22 de septiembre de 1998
Una vida repleta de memorias
MARGUERITE YOURCENAR
La pasión y sus máscaras
Michèle Sarde, Perfil Libros, 1998
Una biografía diferente, una manera de entrar en el mundo de la más grande escritora
francesa de este siglo, con sigilo, con pudor. Uno puede, poco a poco, ir adivinando en estas
páginas el talento y los elementos motivadores del mismo que permitieron a Marguerrite
Yourcenar escribir desde la piel tamizando cada frase con su cerebro. Uno puede imaginársela
caminando por las callejuelas de Mont Noir o navegando por el mar Negro o descubriendo Grecia. No hay
dudas de que la escritora Michèle Sarde buceó en los detalles íntimos de Yourcenar,
pero también analizó su obra con apasionamiento.
Adolescente, cuando apenas tenía dieciséis años, Marguerite Crayencour
decidió buscar un seudónimo. Jugando a los anagramas con su verdadero apellido, las letras
y el azar dejaron Yourcenar como el elegido para la inmortalidad. Una vida donde el amor se
desdobló cuanto quiso, se dibujó de diferentes maneras, mientras iban naciendo de la
imaginación los primeros poemas, la postergada Memorias de Adriano, Opus Nigrum o
la inconclusa La eternidad, publicada después de su muerte.
Un libro no sólo para los amantes de la literatura de Yourcenar, sino también para
quienes quieran conocer cómo vivieron los intelectuales europeos de la generación
“rebelde”. Marguerite Yourcenar dijo en una de sus entrevistas, cuando su interlocutor
le preguntó por el oficio de escribir: “Nadie se propone ser escritor, simplemente nace la
necesidad de contar, primero para uno y luego para los demás, las cosas que se viven y sienten.
Reconstruir la historia, hablar de la vida y de la muerte e imaginar son todas las cosas que puede
hacer un escritor, ninguna más”
Agustín Bottinelli, La Prensa, Buenos Aires, 1 de noviembre de 1998