Portrait
MICHÈLE SARDE, Professeure agrégée de lettres modernes, écrivaine française. En 1970 elle commence sa carrière à l’Université de Georgetown, à Washington, et alterne l’enseignement et la recherche dans les domaines de la littérature et la culture avec le travail littéraire. Elle contribue, comme beaucoup d’intellectuels européens résidant aux États-Unis, au rayonnement de sa culture et aux échanges dans ce domaine. En 2001 elle quitte l’enseignement pour se consacrer à son œuvre littéraire, tout en gardant un lien important avec Georgetown en tant que Professeure émérite. Essayiste, biographe et romancière, Michèle Sarde a consacré une bonne partie de son oeuvre à l’observation des femmes, la relation entre l’écrit et le vécu, ainsi qu’à la mémoire personnelle et historique.
MICHÈLE SARDE, French writer and professor (Professeure agrégée de lettres modernes). In 1970 she began her academic career at Georgetown University, in Washington, D.C., combining teaching, literary and cultural research, and creative writing. Like many European intellectuals residing in the United States, she contributed to the promotion of her own culture and to international cultural exchange in general. In 2001 she left university teaching to devote herself to literary pursuits, while still maintaining a close relationship with Georgetown University. Essayist, biographer, and novelist, Michèle Sarde has concentrated a major part of her work on women, the relationship between the written word and life, as well as personal and historic memory.
MICHÈLE SARDE, profesora universitaria (Professeure agrégée de lettres modernes) y escritora francesa. En 1970 inicia su carrera académica en la Universidad de Georgetown, en Washington, y alterna la actividad docente y la investigación en los campos de la literatura y la cultura con el trabajo literario, desempeñando al mismo tiempo, como muchos de los intelectuales europeos que residen en Estados Unidos, una labor de proyección de su cultura e intercambio cultural en general. En 2001 deja la enseñanza para dedicarse por entero a su obra literaria, manteniendo un vínculo importante con la Universidad de Georgetown, en calidad de Profesora Emérita. Ensayista, biógrafa y novelista, Michèle Sarde ha dedicado gran parte de su obra a la observación de las mujeres, la relación entre escritura y vida, así como la memoria personal e histórica.
Michèle Sarde présentée par Roland Celette, Attaché culturel à l'Ambassade de France
aux États-Unis
(à l'occasion de la remise des insignes de Chevalier dans
l'ordre des Arts et Lettres, Washington, DC, 8 mai 2002)
Je me suis souvent demandé, en pensant à l'histoire de notre littérature et de nos
écrivains, s'il n'y a pas dans le voyage et l'expatriation, dans l'adoption d'une
autre terre une vertu singulière qui faciliterait l'approche des textes et
favoriserait l'écriture. Comme si l'éloignement dans l'espace engendrait à la fois
une façon de considérer le monde autrement et une volonté plus acérée de voir. En
ce sens, Chère Michèle, il me semble que votre présence aux États-Unis correspond
profondément à la quête d'une perspective. Perspective sur votre pays, perspective
sur sa littérature, perspective sur la littérature et sur vous-même.
Permettez-moi de rappeler que vous avez quitté la France dans la toute première
phase de votre vie professionnelle et que vous avez passé la majeure partie de
votre carrière dans cette belle et exceptionnellement accueillante Université de
Georgetown. Vous y avez mené avec un égal succès deux vies de professeur et
d'écrivain.
On peut s'interroger sur la difficile cohabitation de ces deux vocations et se
poser la question de savoir si la patience et l'érudition nécessaires aux travaux
universitaires ainsi que le souci de la pédagogie ne nuisent pas à la spontanéité
et à la puissance de l'imagination créatrice. Je voudrais montrer ici que dans
votre cas il n'en est rien et que, bien au contraire, la juxtaposition de vos deux
œuvres fait apparaître une grande complémentarité et une exceptionnelle
cohérence.
Honnêteté, attention scrupuleuse à l'autre, voilà les qualités essentielles que
nous retrouvons dans les nombreuses études que vous avez consacrées à la
comparaison des deux cultures française (on pourrait dire européenne) et
américaine. Laissant loin les impressions et les à peu près qui caractérisent les
innombrables textes superficiels que ce sujet ne manque pas de susciter, vous
cherchez dans le substrat de l'expérience des points fondamentaux à partir
desquels vous reliez les éléments de votre observation
Et ce sont ces mêmes qualités qui font la valeur du grand texte que vous avez
écrit sur l'histoire des Françaises. Dans cet admirable essai, vous avez mis
en œuvre une méthode très concrète, qui part de l'analyse des faits et des textes
pour repérer mouvements ou continuités et élaborer vos concepts.
Cette attention, ce sens du dialogue que vous exercez avec le même talent à
travers l'histoire et l'espace, sont aussi au cœur de votre œuvre littéraire,
caractérisée à mes yeux par la recherche primordiale d'un point de vue.
Je pense au titre du livre que vous avez publié sur la vie de Marguerite
Yourcenar : Vous, Marguerite Yourcenar. Le dialogue que vous
y ouvrez avec la grande dame de l'Ile des Monts-Déserts n'est pas un simple
exercice de style destiné à rendre plus attrayante votre présentation des
événements de sa vie. Vous vous engagez réellement dans cette rencontre, que
la fréquentation intime des lettres et des manuscrits avait suscitée, et vous
essayez avec succès de recréer son regard.
Ce souci de trouver une perspective nous le retrouvons au centre d'une
de vos principales œuvres ; je veux parler de l'Histoire
d'Eurydice pendant la remontée. Dans cette extraordinaire fable, qui
touche au plus profond du processus de la création artistique et de l'existence,
vous avez choisi de donner, je dirais presque d'inventer, le regard d'Eurydice
et de suggérer dans cette seconde nuit dont parle Maurice Blanchot l'intensité
de la présence de celle qui ne fut jamais dans la mythologie et la littérature
qu'une ombre. Permettez-moi de lire quelques lignes, qui servent de conclusion
à ce roman :
Peut-on reprocher à Eurydice, dans son exaspération qu'Orphée sorte du Mythe en continuant de la mythifier, de tout sacrifier pour que le regard de son amant la reconnaisse ? Alors elle n'hésitera pas à travailler la fable, à renverser le protocole. Et peut-être aura-t-elle chuchoté quelque parole, connue d'eux seuls et mal décodée, une demi-vérité, un mensonge sur leur passé, une abomination capable de faire retourner un mort afin qu'Orphée soit distrait de son combat contre les simulacres et qu'il cesse, aux ordres du premier venu des dieux, de traverser en aveugle les miroirs.
Il se sera retourné et il l'aura regardée. Et elle l'aura regardé aussi. Quand il se sera éloigné, elle lui aura tourné le dos et il aura attendu qu'elle se retourne sur lui comme elle avait attendu qu'il se retourne sur elle. Leur parenté criminelle se sera ainsi révélée dans la lumière. Alors elle aura jeté un autre masque, et lui aura lancé à la tête les paroles meurtrières.
Le mythe ne disait rien de l'itinéraire d'Eurydice après le retournement d'Orphée, après la mort d'Orphée, pas même, si cheminant seule sur un chemin de traverse, elle n'aura pas fini par atteindre le bout de la remontée.
On admirera, dans ce passage très représentatif de votre écriture, ce style simple,
cette juxtaposition, qui oblige le lecteur à recréer le point central qui ordonne
les événements pour leur donner sens et à devenir lui aussi créateur. Votre style,
que ce soit dans vos articles ou dans vos romans, présuppose et exige le dialogue.
Simplement et complètement humain, comme vous l'avez dit.
Membre du Pen Club, sélectionnée pour le prix Goncourt en 1991, lauréate du Prix
de l'Académie des sciences morales et politiques pour votre essai sur les
Françaises et du Prix de l'Académie Française pour votre livre sur Colette, vous
avez contribué grandement à la vie culturelle de notre pays et vous en avez été
aux États-Unis une représentante active et éminente.